Contraint de rejoindre sa femme et leurs cinq enfants à Copenhague, en novembre 1884, Gauguin n'est pas encore Gauguin, mais il le devient, confronté à l'hostilité qu'il génère. Au long d'une enquête tourbillonnante, Bertrand Leclair restitue le vertige d'un homme déchiré, incapable de renoncer à sa fascination pour la peinture.
Lui-même père d'un enfant sourd, le narrateur de Malentendus mène l'enquête sur une tragédie familiale prise dans les rets de la grande histoire, celle des sourds, otages d'une bataille séculaire entre partisans de la langue des signes et partisans de l'oralisme. Mêlant l'intime et le collectif, Malentendus parvient à faire de la surdité d'un enfant le puissant révélateur des mécanismes d'ordinaire invisibles du roman familial, de ses ambivalences inconscientes et de ses non-dits dévastateurs.
À l'instigation de François Bon qui venait de fonder la maison Publie.net, j'ai réuni plusieurs textes consacrés au long des années à Paul Gauguin, à la croisée de sa vie et d'une oeuvre qui est aussi littéraire : outre son abondante correspondance, Gauguin est un mémorialiste et un pamphlétaire remarquable, dont l'écriture âpre et rugueuse danse face au lecteur comme les jambes du boxeur sur le ring.
Le titre donné à cet ensemble de textes relevant de genres différents (la fiction biographique à travers un feuilleton radiophonique, l'essai critique ou la « lecture d'image ») est une invitation à le lire comme un chantier destiné à rester ouvert. L'oeuvre du peintre qui revendiquait « le droit de tout oser » et affirmait avoir « voulu vouloir » est suffisamment entêtante pour qu'on y revienne sans cesse. Elle est de celles où l'on puise énergie et lumière, cette lumière si particulière qui faisait dire à Mallarmé, face aux premières toiles tahitiennes, qu'il est extraordinaire de générer « tant de mystère dans tant d'éclat ».
BERTRAND LECLAIR
À Berlin, Marc rencontre une de ses lectrices, Hannah, jeune femme d'une trentaine d'années. Une liaison naît entre eux, d'un érotisme envoûtant. Mais il lui faut vite déchanter. Hannah avait mission de le séduire pour le compte d'une « princesse » mariée à un richissime oligarque russe.
La curiosité et son attrait pour Hannah lui font accepter une invitation sur une île grecque dont on lui cache le nom et le lieu. Cette princesse y dirige une Villa du Jouir, sorte de phalanstère moderne - ou bordel de luxe ? - au coeur d'enjeux politiques et économiques internationaux. Les hommes invités y sont initiés à une autre dimension du plaisir. Rompant un jour le pacte, Marc décide de partir. Il était pourtant prévenu : il chercherait à revenir, n'y parviendrait pas, se consumerait de nostalgie...
Un grand texte érotique, dans la lignée d'Histoire d'O, de L'Anglais décrit dans le château fermé, du Roi des fées, du Château de Cène...
L'ensemble peut paraître impressionnant : mais est-ce que ce n'est pas une des pistes de l'édition numérique, de permettre l'accès direct au contenu précis qu'on cherche, qu'il s'agisse de Nathalie Sarraute, Bernard Lamarche-Vadel, Claude Lucas ou Michel Houellebecq ?
Mais Bertrand Leclair nous propose autre chose. Pendant onze ans, il exerce l'écriture critique et devient pour nous tous, auteurs, un repère essentiel : non pas rendre compte d'un livre, mais orienter, dégager les enjeux dans le contemporain, proposer des passerelles qui reformulent les concepts même de ce qu'on pratique : forme, voix, rapport de l'écriture à celui qui s'y engouffre.
Alors cette construction en tant que telle est décisive : partir de lignes de fractures majeures - Guyotat, Cixous - revenir en amont s'il le faut - Sarraute, Beckett - et de là s'engager vers des oeuvres au présent le plus direct, Xavier Bazot, Claude Lucas, Marie NDiaye...
Autre question : celle de la trace, de l'expérience. S'impliquer dans la critique, c'est expérimenter en quoi et comment les textes agissent, et qui les reçoit. Bertrand Leclair publie dans Politis, Les Inrockuptibles, il a plusieurs années un rôle important dans la Quinzaine littéraire auprès de Maurice Nadeau. Mais il donne des conférences, participe à des hommages (ainsi, cette étude de fond juste dans la secousse de la mort de Bernard Lamarche-Vadel).
En proposant une édition numérique de ces textes, nous reconduisons qu'ils soient ainsi partage et action : ils seront accessibles désormais, en lecture intégrale, dans quelques dizaines de bibliothèques, nos abonnées, et les pistes de recherche indexées dans leur catalogue. C'est l'intensité de cette expérience neuve qui nous est proposée, et merci à Bertrand Leclair de s'y associer.
Le volume 2 à suivre : interventions journalistiques.
FB
Correction, préparation et révision : merci à Cécile Carret.